It would have been my dad’s birthday on June 9th….he had written all those stories so sharing to honor his memory Monday, June 10, 2013 12:35:31 AM

1 Au château


Quand la fête du village se terminait dans la nuit, nous allions quelquefois réveillonner au château. C’était une importante bâtisse avec une tourelle. Cependant l’intendance n’était pas toujours à la hauteur des lieux. J’apportais donc du saucisson, parfois un poulet et même une fois un seau de vin tiré directement de la barrique familiale.

La grand mère, une dame très agée aux joues roses, aux yeux bleus comme de la porcelaine, à l’opulente chevelure blanche était assise dans un fauteuil rustique auprès du feu et se réjouissait de l’arrivée de tous ses jeunes.

Sa fille, Gilberte allait et venait dans la salle; Etienne, son mari était assis à table avec sa bière; Josiane, leur fille jouait de l’accordéon; parmi la jeunesse, la bonne humeur régnait.

Mon ami Paul qui était atteint d’une maladie de la moëlle épinière et agité de gestes saccadés n’avait pas de petite amie; il était frustré dans ce domaine. Aussi caressait-il outrageusement la maîtresse de maison quand elle passait à sa portée. On aurait cru qu’il avait quatre mains.

Au coin de l’âtre, Bonne-Mère, qui ne supportait pas son gendre, l’encourageait:

“Vas-y, Paul, mamour, fais le cocu ce salaud d’Etienne!”, lequel chose inhabituelle au pays, restait flegmatique comme un anglais.

Cependant, le lendemain, la rumeur courait le village: “Il s’est passé des choses au château…”
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2 L’hymne au printemps


Chaque année au mois de mars, on purgeait le grand père. Ma grand mère en personne se rendait à la pharmacie.

“Vous savez, disait-elle, non sans fierté, combien mon mari est fort et quel tempérament il a.”

“Ne vous faites pas de souci, répondait l’apothicaire, un rigolo dans son genre, nous allons le soigner.”

Cependant le travail ne manquait pas à la maison et l’opération avait lieu en nocturne.

Après le repas du soir, chacun regagnait sa chambre, !mais ça démarrait sec chez mes grand-parents. Toute la nuit c’était une sorte de concerto pour trompette et orgue, enrichi d’une partie chantée:”Tonnerro de Dieu, de mila Dieu, macarel de Dieu” et ponctué des coups de cymbale du couvercle en métal du seau hygiènique.

Au petit matin, mon grand père decendait l’oeil vif et le teint rose. Réunis pour le petit déjeuner les autres membres de la famille, le visage pâle et les yeux gonflés essayaient de boire le café. Mon grand père, lui, sortait son Opinel de la poche et attaquait des oeufs au plat avec du jambon, accompagnés d’un coup de Corbière; Ensuite, il essuyait sa bouche sans déplier sa serviette, lissait ses moustaches entre le pouce et l’index et allait devant la porte scruter l’horizon pour savoir le temps qu’il ferait dans la journée.

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3 “Le derrière n’a pas d’âme”










C’était pendant la guerre 1939-45. A Espezel, nous ne manquions pas de nourriture mais il était comme pour tous, difficile de se procurer des habits.

Nous avions une réception prévue dans” le grand monde”. Le docteur, un ami de la famille, nous avait invité, ma mère et moi, à l’occasion des festivités prévues pour la communion de son fils Bernard. 

La providence et plus sûrement quelques tickets pour le textile nous avaient permis d’acheter pour moi une paire de chaussures jaunes qui se voyaient de loin.

La cérémonie avait lieu le lundi de Pâques mais ma mère n’avait pas résisté à la tentation de me les faire étrenner dès le dimanche matin, non sans force recommandations.

Je les avais exhibées le matin avec fierté et elles avaient fait l’admiration du village. 

Tout se gâta l’aprés midi, réservé comme d’habitude, à un match de foot avec les copains. Oublieux des ordres maternels, j’avais gardé mes chaussures neuves.

Horreur! A peine le temps de s’échauffer et de taper dans quelques balles, elles avaient littéralement explosé. Il restait d’un côté les empeignes et de l’autre les semelles. Je comptemplais le désastre, malheureux d’avoir perdu les chaussures et imaginant l’accueil qui me serait réservé.

J’arrivais à la maison, les chaussures à la main, les pieds nus, tout penaud.

A cette vue, le sang de ma mère ne fit qu’un tour. Elle s’empara de moi et attaqua une fessée superbe, dictée par sa grande colère. Comme elle ne se calmait pas le châtiment se prolongeait sans faiblir.

Ma grand mère qui assistait à la scène se tordait de douleur et disait:

“Pitié, pitié,vous allez tuer le petit”

Ma mère n’entendait rien et continuait de plus belle et ma grand mère poursuivait ses supplications.

Cependant la fessée eut un double effet. Outre qu’elle châtiait le coupable, elle finit par dissiper la colère de ma mère qui réussit à répondre:

“Le derrière n’a pas d’âme”…

Elle s’arrêta alors, au grand soulagement du coupable qui reçu l’ordre de s’assoir sans bouger.

Mais l’affaire eut un rebondissement imprévu. Ma mère avait déjà abandonné la fonction de bourreau pour se transformer en infirmière.

Il fallait impérativement soigner ma grand mère au bord de la crise de nerf, après le drame; Elle lui administra le calmant utilisé à la maison, du Cedobral que l’on faisait dissoudre dans de l’eau.

Après quoi, ma mère qui en avait grand besoin sortit prendre l’air, cependant que ma grand mère et moi muets et immobiles accablés sur nos chaises. 



Epilogue: dans la soirée ma mère alla à vélo dans son village natal: Roquefeuil, à trois kilomètres, où elle connaissait un vieux cordonnier retiré des affaires depuis longtemps.

Il répara du mieux qu’il put et surtout sans délai les chaussures que je pus réétrenner le lendemain.

On avait cru que les belles chaussures étaient en cuir mais elles étaient en carton.
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4 Pas de panique



Il y avait à la maison un ancien domestique qui finissait ses jours dans la famille. Il s’appelait Mallapert et avait pour toute fortune une montre à gousset qu’il me prêtait parfois. Il faut dire qu’il me croyait promis à un brillant avenir et voyait en moi un futur président de la République pour le moins.

Il n’ allait plus dans le village, sortait parfois dans la cour quand il faisait beau et passait la plupart de son temps, assis sur une chaise basse, au coin du feu. Il était logé,nourri et habillé et refusait tout salaire. Son seul luxe était de griller quelques cigarettes et on lui achetait du tabac. C’était du gris vendu dans un emballage en papier grossier qui avait la forme des cubes d’images avec lesquels je jouais. Il utilisait du papier à cigarette “Job” dont il me donnait parfois en cachette quelques feuillets que je faisais semblant de fumer. Surtout, il conservait dans sa poche un antique briquet à amadou que j’admirais . Il était composé d’une molette et d’un cylindre en métal dans lequel coulissait une logue mèche noire et jaune terminée par un gros noeud. La partie supérieure était traversée par une épingle courbe surmontée d’un bouton noir arrondi. Pour allumer la mèche on la faisait sortir en tirant et pour l’éteindre on la tirait vers le bas en prenant soin que le bouton ferme bien l’ouverture.

Mais en vieillissant, Mallapert rentrait le briquet en oubliant souvent de l’éteindre. Une odeur de brûlé se répandait dans la maison et on disait sans aucun signe d’affolement:
“Mallapert prend feu.”

On sortait le briquet, on tamponnait la poche de la veste avec un peu d’eau et tout rentrait dans l’ordre.

D’ailleurs, le moins inquiet d’entre nous était Mallapert: il ne s’en apercevait même pas.
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5 Un incident mémorable


Monsieur et madame Massine, nos amis, habitaient Carcassonne. C’étaient mes correspondants quand j’étais pensionnaire au lycée. Je me rendais chez eux, rue du Pont vieux le samedi soir et j’y passais le dimanche. Ils me soutenaient de petits plats, de bons gâteaux et de leur affection qui m’était plus précieuse que tout.

Ils avaient confié à mes parents leur fils Gérard pour quelques jours de vacances au grand air. Il avait alors six ou sept ans et moi quelques bonnes années de plus.

Celui ci nous était arrivé vêtu d’une veste de tweed, d’une chemise blanche ornée d’une superbe cravate, d’un pantalon gris au pli impeccable soutenu par d’élégantes bretelles, et chaussé de souliers fraîchement cirés; les cheveux blonds, les yeux clairs, les pommettes roses, il brillait comme un sou neuf.

On lui avait fait les honneurs de notre maison à la montagne et plus particulièrement on lui avait présenté les “toilettes”, cabinets rustiques construits par mon grand père, situés dans la cour sous un hangar. Ils s’élevaient au dessus du tas de fumier. On y accédait par une sorte d’échelle à poules et on s’installait au dessus d’une ouverture béante. L’hygiène était assurée par quelques morceaux de feuilles de journal accrochées à un fil de fer.

Nous avions bien insisté sur les dangers de l’opération. Mais voilà, dès le premier usage de ces lieux, les bretelles de Gérard étaient tombées dans le trou. Nous nous précipitâmes armés de lampes de poche et de pincettes et nous nous installâmes en cercle autour de ce que vous imaginez, concentrés comme une équipe chirurgicale autour de la table d’opération.

On ramena enfin les précieuses bretelles à la maison, toujours accrochées à l’extrémité des pincettes. Ma mère les lava, les fit bouillir et rebouillir puis après séchage, désinfectées et parfumées, elles retrouvèrent leur propriétaire.

Quand à nous, nous reçumes l’ordre formel de n’en parler jamais.
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6 De très honnêtes personnes

A la retraite mon père s’était consacré à l’élevage de lapins. Il y avait des lapins domestiques nourris au grain, aux branches de frêne sec et de genévrier, ainsi que des lapins de garenne. Ces derniers étaient si peureux qu’ils disparaissaient au quatre coins dès qu’on approchait. A la maison, on les appelait les sauvages. Mon père qui n’aimait pas les mondanités, avait l’habitude de quitter les invités en disant: “Il faut que j’aille nourrir les sauvages”. Les visiteurs, avec une lueur d’inquiétude dans le regard, le saluaient cependant avec courtoisie.

Les premiers animaux étaient vendus à une clientèle fidèle et à un boucher, les seconds étaient destinés à un garde chasse.

Cependant notre voisin Emile Dufort élevait lui aussi des lapins pour son usage familial. Quand il en avait trop, il n’osait pas les vendre et mon père les lui achetait discrètement. Les affaires se traitaient dans une ancienne remise où il garait autrefois son camion et où restaient encore un chais, quelques vieilles barriques et une bascule. Les lieux étaient sombres, éclairés par une lampe parcimonieuse. Les lapins arrivaient ficelés au fond d’un sac qu’il posait sur ladite bascule. Ce sac valait de l’or. Emile ne voulait pas savoir ce qu’était une tare et revendait celui-ci à chaque transaction. Mon père penché sur la bascule faisait la pesée en disant:

“On n’y voit rien ici.”

“Ne t’en fais pas, disait Emile, je vais chercher la “pile” à la cuisine.

Pendant ce temps, mon père déplaçait un peu le curseur. Ensuite ils vérifiaient ensemble le poids indiqué et tandis que la lampe repartait à la cuisine, mon père remettait tout en ordre.

A peine déposé à la maison, le sac était ouvert: il y avait toujours un ou deux vieux lapins dans le tas. Mon père aussitôt leur taillait les ongles pour tromper le boucher.

Puis, il allait rendre scrupuleusement le sac à Emile et ils bavardaient longuement de la pluie et du beau temps comme des amis qu’ils étaient et qu’il restèrent jusqu’à la fin de leur vie…
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7 L’hymne au printemps


Chaque année au mois de mars, on purgeait le grand père. Ma grand mère en personne se rendait à la pharmacie.

“Vous savez, disait-elle, non sans fierté, combien mon mari est fort et quel tempérament il a.”

“Ne vous faites pas de souci, répondait l’apothicaire, un rigolo dans son genre, nous allons le soigner.”

Cependant le travail ne manquait pas à la maison et l’opération avait lieu en nocturne.

Après le repas du soir, chacun regagnait sa chambre, mais ça démarrait sec chez mes grand-parents. Toute la nuit c’était une sorte de concerto pour trompette et orgue, enrichi d’une partie chantée:”Tonnerro de Dieu, de mila Dieu, macarel de Dieu” et ponctué des coups de cymbale du couvercle en métal du seau hygiènique.

Au petit matin, mon grand père descendait l’oeil vif et le teint rose. Réunis pour le petit déjeuner les autres membres de la famille, le visage pâle et les yeux gonflés essayaient de boire le café. Mon grand père, lui, sortait son Opinel de la poche et attaquait des oeufs au plat avec du jambon, accompagnés d’un coup de Corbière; Ensuite, il essuyait sa bouche sans déplier sa serviette, lissait ses moustaches entre le pouce et l’index et allait devant la porte scruter l’horizon pour savoir le temps qu’il ferait dans la journée.
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8 Le tailleur







Près de l’école vivait un très vieux couple. Elle s’appelait Célina. Lui, il avait exercé le métier de tailleur au village.

Un jour, il mourrut et comme c’était l’usage, chacun allait rendre visite au mort et présenter ses condoléances aux survivant.

“Alors, ma pauvre Célina, comment c’est arrivé?”

“Nous étions au lit. Le tailleur m’a dit: je vais pisser”.

“Je lui ai répondu: va pisser”

“Il a descendu l’escalier pour gagner l’étable. Au bout d’un moment, je l’ai appelé:tailleur, tailleur… pas de réponse. Je suis allée voir: plus de tailleur, le tailleur était mort en pissant”

Ma mère était là, accompangée d’une jeune collègue. Chaque fois que des amis arrivaient Célina recommençait son récit.

A la septième édition, la demoiselle sentit monter en elle une irrésistible crise de fou rire. Elle fournit un terrible effort si violent qu’elle en fit pipi dans sa culotte. Par bonheur, elle n’en mourut point.
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9 Sur la route de Perpignan






Nous avions pour voisins et amis monsieur et madame Dufort. Elle tenait une épicerie et lui faisait des transports. Il se rendait souvent à Perpignan avec son camion chargé de foin ou de pommes de terre suivant la saison et en ramenait des réserves pour l’épicerie, des légumes, des fruits et du vin.


D’un caractère bien trempé, il était cependant très serviable et prenait donc souvent des passagers. Cette fois ci, c’était l’épouse d’un gendarme.

Arrivé dans les vignobles de Maury, il fut pris d’une envie pressante. Il arrêta son camion et alla se réfugier dans une vieille vigne, derrière des grappes de grenache, laissant dans sa hâte la portière ouverte.

Soudain, il se mit à sauter en poussant des cris, la chemise en l’air et les pantalons au dessous des genoux, agité de gestes frénétiques.

A peine la pauvre dame eut elle le temps de se signer que le redoutable individu sautait sur la banquette…mais il ne se passa rien.

Le chauffeur avait simplement fait ses besoins sur un nid de guêpes.
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10 Une musique incongrue






Ma mère, honorable directrice d’école descendait dignement la grand’rue du village, accompagnée de mon père.

Ils étaient arrivés à la hauteur de la mairie en face du café Verdier où les ivrognes et les notables locaux prenaient l’apéritif sans qu’on puisse identifier clairement les deux catégories.

Subitement, elle lâcha un pet formidable comme on en fait un seul dans sa vie.

Mon père, prude de nature, fut tétanisé et sentit le sang se retirer de son corps. Il lui chuchota à l’oreille:

” Qu’est ce qu’ils vont dire?”

Royale, ma mère répondit:

” Ils diront que c’est toi.”

Cette réponse ne lui apporta aucun réconfort et le laissa estabousi.*

* stupéfait, cloué sur place
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11 Des conséquences d’un “resupet” (réveillon)

Quand le café fermait ses portes vers minuit, mes amis et moi allions parfois “réveillonner” à la maison. mon grand père qui avait dépassé les quatre vingts ans quittait subrepticement le lit conjugal pour se joindre à nous. Il ouvrait la porte et usait toujours du même prétexte. Il disait en occitan”Pensavia qué avia raubaires”(Je croyais qu’il y avait des voleurs)

Il s’asseyait alors parmi nous, sans façon, et attaquait le saucisson arrosé d’un bon coup de Corbière.

Un de ses “resupets” eut une conséquence inattendue.

Comme nous nous quittions, le ventre plein et les oreilles rouges à une heure avancée, un des convives, Guy, avisa le baromètre qui était dans la salle. D’un vigoureux coup de pouce sur la vis de réglage, il fit plonger l’aiguille sur “tempête et tournade”. Nous trouvâmes cette initiative tout à fait remarquable.

Or, comme nous étions en été, peu de temps après, mon père se leva pour aller surveiller nos vaches qui étaient à la montagne dans les estives.
D’un naturel prudent, il consulta le baromètre et fut effrayé: jamais on ne l’avait vu aussi bas. Il s’octroya un long déjeuner afin de réfléchir:

“Y aller ou ne pas y aller”

De temps à autre, il sortait dans la cour: l’air frais du matin était vif et le ciel bleu sans aucun nuage.

Après quelques heures de tergiversations, il se résolut à partir. Comme il se résolut à partir. Comme il circulait en moto, il mit deux pantalons, plusieurs chandails, un cache col et la canadienne. Il n’avait plus qu’à ajuster le casque sur la tête. 

Quand les bergers le virent débarquer ainsi accoutré, leur surprise fut très grande:

“Malheureux, leur dit mon père, tel un prophète, vous ne le savez pas: c’est l’apocalypse qui se prépare”.

Selon l’usage, il leur apportait du pain et du tabac. Aussi, préférèrent-ils ne pas le contrarier.

Plus le temps passait, plus le ciel était pur et la chaleur ardente. A regret, mon père dut quitter ses amis tout en maintenant ses mises en garde. Quand il s’en alla, il n’avait pas encore changé d’opinion et les bergers pensaient qu’il avait “un hibou dans le grenier”.

Dès son arrivée à la maison, il nous raconta toute l’affaire. Tout le monde restait indifférent à son récit. J’étais le seul à savoir la vérité. Pour nous convaincre, mon père se précipita sur le baromètre que j’avais à nouveau réglé dans l’après midi et qui marquait “grand beau temps”.

Ce fut le coup de grâce. Il s’assit à table, réclamant à boire, et resta pensif sans rien dire, complètement “estabousi”.

Ce ne fut que bien plus tard qu’il apprit la vérité. Tout le monde dans le village connaissait l’histoire depuis bien longtemps.
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12 Monsieur Moulins et l’arracheur de dents

Il y avait à Espezel quatre cafés. Nous les fréquentions tous pour ne fâcher personne mais notre préféré était le café Piquemal. C’était une salle rectangulaire avec de chaque côté, une rangée de banquettes en molesquine noire et de tables rectangulaires en marbre blanc. Au fond,il y avait un comptoir. A droite se trouvait un poêle Godin et à gauche un guéridon en marbre où était assis, du matin au soir, un membre de la famille Piquemal, monsieur Moulins.

C’était un beau vieillard, avec une grande barbe blanche et un visage émacié. Il était aussi immmobile et silencieux que le poêle qui lui faisait pendant.

Dans ce café, venait opérer un dentiste ambulant, une fois par mois. il se déplaçait au moyen d’une puissante moto avec derrière lui, deux grandes caisses à claire voie, solidemment attachées. L’une contenait son matériel, l’autre une dame bouledogue, seule ou avec ses petits suivant les saisons.

Il installait devant le comptoir sa roulette articulée qui fonctionnait avec une pédale, une chaise et un seau émaillé que lui apportait monsieur Piquemal. Ce récipient servait à la fois à rincer la bouche des patients et à rafraichir les petits bouledogues qui y plongeaient le museau et les oreilles quand ils avaient soif.

Tout était prêt pour que la scéance commence. Les futurs candidats, mêlés aux consommateurs ne manifestaient pas de hâte particulière pour quitter la banquette afin de s’installer sur la terrible chaise. La roulette surtout faisait bondir les malheureux jusqu’au plafond.

Les spectateurs y allaient de leurs commentaires goguenards…sans penser que leur tour viendrait peut-être un jour…

Le dentiste monsieur Kursteiner, originaire d’Alsace, avait un accent que l’on jugeait curieux. Il était taciturne mais il avait trouvé plus fort que lui en la personne de monsieur Moulins.

Un jour, il ne put s’empêcher de lui adresser la parole:

“Dites donc, monsieur Moulins, on ne vous a jamais dit que vous ressemblez au Général Goureau.”

Miracle…monsieur Moulins parla, à la stupeur de tous, lui que l’on avait jamais entendu.

“Diantre, répondit-il, vous n’avez pas de la merde aux yeux”.

La salle observa une minute de silence puis les opérations reprirent et la conversation générale se rétablit, ponctuée par quelques cris et gémissements.


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13 Tout est bien qui finit bien.







La famille Anatole avait un cousin à Carcassonne. Depuis qu’il était en retraite, il faisait de longs séjours à Espezel avec son épouse. 

Quand on parlait de lui, on le désignait par son surnom “Le Capou” et quand on s’adressait à lui, on disait “François”.

Il était petit, morne, trainait une jambe. Son visage était émacié et quand il soulevait sa casquette pour saluer, son crâne avait la forme d’une coquille d’oeuf.

Un jour, de Carcassonne arriva un télégramme annonçant son décès. Personne n’en fut vraiment étonné, tant il paraissait fragile.

Les Anatole firent leurs préparatifs pour aller en délégation aux obséques. Les hommes mirent leurs costumes, les dames leurs robes 
de cérémonie.. Elles sortirent de la naphtaline leurs “renards” qu’elles nouèrent autour de leur cou. 

A Espezel, c’était encore un signe d’élégance et de distinction.

Tous montèrent en voiture, chagrinés.

A leur arrivée à Carcassonne, Alice, la maman qui était une femme grande et dynamique, énergique aussi par son vocabulaire, frappa à la porte des cousins.

Le mort en personne, chaussé de confortables pantoufles vint leur ouvrir. En voyant cette imposante troupe, il resta stupéfait et les Anatole ancore plus devant cette apparition miraculeuse.

Alice nous racontait plus tard:

” Quand je l’ai vu, je te lui aurait foutu un bourmas “(grande giffle de préférence du revers de la main)

Pendant ce temps, Madame s’était approchée avec des bigoudis sur la tête.

On réussit alors à s’expliquer. Le mort était un cousin éloigné que personne à Espezel n’avait jamais vu mais qui portait le même prénom et nom que “Le Capou”.

Après avoir pris le café et bavardé, ils repartirent mais plutôt que de rentrer directement ils firent un détour par Catelnaudary pour déguster un authentique cassoulet avec des couennes, du jarret de porc, du collier de mouton, de la saucisse, du confit d’oie et bien sûr des haricots lingots; le tout servi dans “la cassole’ récipient en terre qui a donné son nom au cassoulet.

Après quoi, on reprit la voiture. Chacun se laissait aller à une douce torpeur et les gaz du cassoulet avaient définitivement terrassé l’odeur de naphtaline des renards. Le chauffeur roulait lentement et on arriva à Espezel sans encombre.

Tout le monde était heureux et ne pensait plus au mort vivant.





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14 Victor et Baptistine









Il y avait dans notre quartier un vieux garde champêtre à la retraite qu’on appelait “Victor de la Patte”, titre hérité sans doute d’un lointain ancêtre chasseur de lapins. Il était petit et maigre comme un clou. L’élément le plus important de sa personne était son nez: je vous laisse deviner pourquoi.

Il avait une épouse bien ronde qu’on appelait la grosse Baptistine. Quand il faisait des libations trop prononcées, elle avait la réputation d’être ferme et de le coller au lit sans autre forme de procès. Tout cela n’empêchait les meilleurs sentiments entre eux.

Baptistine mourut et Victor eut beaucoup de chagrin. Selon la tradition, les gens du village allaient veiller le mort et soutenir la famille. La nuit était longue. On faisait du café, on buvait du vin, et quand les proches s’éloignaient on racontait quelques bonnes histoires. Bien sûr, on avait particulièrement soutenu Victor, à grand renfort de Corbière. Il n’avait pas pu fermer l’oeil de la nuit et au petit matin son émotion avait encore grandi. Quand vint le moment de mettre Baptistine en bière, il voulut le faire lui même. On leva la morte du lit. Il la prit par la taille et après quelques entrechats tous les deux tombèrent dans le cercueil, Baptistine faisant office de couvercle. On retira Victor en toute hâte et pour qu’il se remette d’aplomb on lui fit boire quelques verres supplémentaires jusqu’au résultat souhaité.

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15 Amen…..les provisions.








A la fin de l’automne, des missionnaires parcouraient le pays pour apporter la bonne parole aux habitants. Ces derniers descendants des cathares étaient encore soupçonnés d’hérésie.

Les moines prêcheurs, vêtus d’une robe de bure, la taille serrée par une corde, les pieds nus dans leurs sandalettes allaient deux par deux, poussant devant eux une brouette empruntée dans le village. Ils la laissaient en stationnement devant la porte avant de rentrer.

Ma grand mère qui était très pieuse les accueillait avec grand coeur et avec respect. Cependant, il y avait un problème: mon grand père qui était farouchement anticlérical, à la manière du petit père Combes, ne supportait pas la vue d’un “tonsuré”. Son visage devenait instantanément violet et on craignait le pire.

Dès que l’équipe pénétrait dans le couloir, ma grand mère lui ordonnait d’une voix péremptoire:

“Antoine, il faut aller couper du bois dans la cour”. 

Il obéissait sans être dupe. Il tapait dur sur les troncs tout en récitant son chapelet personnel.

“Tonnerra de Diu, mélla Diu, et macarel de Diu”.

En effet il savait bien qu’à la maison, ma grand mère servait le café et les petits gâteaux et cette idée décuplait ses forces et il n’ignorait pas non plus qu’à la fin de la réception la brouette repartait chargée d’un gros sac de pommes de terre, don traditionnel chez nous.


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16 L’art de bien parler


Ma grand-mère qui avait de l’éducation, utilisait à bon escient les modes et les temps.

“Nous avions trois poules, disait-elle, l’une mourut, l’autre se pendit, la troisième on nous la chipa.”

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Encore du vocabulaire

Ma grand-mère qui avait la taille fine et un joli visage malgré l’âge, avait toutefois un nez un peu fort.

“Beau nez”, disait-elle”ne dépare pas belle figure.”

Cependant, elle n’appliquait pas ce précepte à son prochain. Elle appelait notre voisin affligé du même défaut “nasique”.

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Encore de la conjugaison

Nous avions un vieux domestique qui finissait ses jours à la maison. Il était plus féru de patois que de beau langage.

Ma grand-mère lui disait:

“Mallapert, il faudrait que vous allassiez chercher du bois menu.”

Ce dernier se tournait alors vers ma mère:

“que diu?”(que dit-elle?)
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17 L’instruction obligatoire et ses conséquences



On accédait à la cour de l’école par une grande porte métallique garnie de piques. Sur la gauche, se dressait le bâtiment scolaire avec les classes au rez de chaussée et les appartements des instituteurs au premier étage. En face, il y avait un grand préau, flanqué de deux petites constructions. Dans l’une se trouvait l’antique pompe à incendie de la commune; dans l’autre, les cabinets.

Ces cabinets, modernes pour l’époque, étaient équipés d’une chasse d’eau automatique. Elle était si puissante que, dès que l’on entendait les premiers borborygmes dans les tuyaux, il fallait sauter à l’extérieur comme des crapauds.

Le danger était bien réel puisque l’arrière du mur était détérioré et laissait voir le jour.

L’école était mixte. Nous, les garçons, avions parfois pendant les récréations, des débats sur le sexe féminin. On savait que c’était en creux puisque notre “zizi” devait s’y adapter comme un bouton-pression. nos connaissances s’arrêtaient là.

Or l’idée nous vint qu’en regardant par le trou, à l’arrière du mur, nous pourrions nous instruire.

Pendant que les uns guettaient au trou, les autres, désoeuvrés, lorgnaient sur un”finestrou” (petite fenêtre) qui était encastré dans le mur de la maison voisine. Il donnait sur un poulailler qui appartenait à un vieux monsieur qui vivait seul: Baptiste.

Quelques malheureuses volailles passaient le cou entre les barreaux pour respirer un peu l’air de la liberté. Aussitôt, nos lascars les extrayaient en tirant de toutes leurs forces, les aplatissaient sur leurs genoux et d’une tension du poignet leur arrachaient les plumes de la queue. Après quoi, ils les remettaient dans le poulailler.

Avec ces occupations éclectiques, la récréation était vite passée.

Cependant, les résultats de nos recherches n’apportaient pas de réponse à nos interrogations car on ne pouvait rien voir.

Par contre, quand on circulait côté rue devant chez Baptiste, les résultats étaient plus tangibles. Dans le village, Baptiste était le seul à élever dans sa cour une “race de poules sans queue”, à la surprise des passants.




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18 Le cercle de famille s’agrandit


Nous étions tous à table, sauf notre domestique Pierre qui allait souvent voir son ancien patron dans le village voisin. C’était une chaude journée d’été. Les volets étaient tirés pour garder un peu de fraîcheur. La pièce était plongée dans la pénombre. On entendait à peine voleter quelques mouches. Le repas était fini et les convives étaient somnolents.

Soudain, on frappa à la porte. Ma mère alla voir et dans le rectangle de lumière, nous reconnumes le docteur Martre de Belcaire. Nous l’entendimes dire à ma mère d’ouvrir le second battant de la porte, ce qu’elle fit aussitôt.

Comme nous avions à Espezel notre propre médecin, nous étions étonnés de sa visite. Cependant, il revenait, tenant dans ses bras une corbeille en noisetier, de forme ovale qu’on utilisait dans le pays pour cueillir les pommes de terre. Il la déposa au centre de la table. A l’intérieur, on pouvait voir un gentil nourrisson.

La stupeur fut totale…mon père était trop sérieux pour qu’on le soupçonnât*, mon grand père trop âgé et moi, trop jeune…

“Je reviens” dit le docteur qui paraissait tout réjoui et introduisit une jeune dame que nous ne connaissions pas…

Le mystère restait entier.

“Je m’en vais, nous dit-il, mais il y a encore quelqu’un qui arrive.”

Quelques instants plus tard, notre domestique, tout penaud faisait son entrée, sans rien dire.

D’un seul coup, nous comprenions tous pourquoi il allait si souvent rendre visite à son ancien patron!

Ce dernier, un vieux grigou,qui accordait sans doute toute son affection à son troupeau de vaches avait chassé de leur maison sa fille et le bébé.

Epilogue: 

Ils vécurent quelques temps avec nous. Puis, ils louèrent une maison dans le village. Quelques années plus tard, Pierre trouva du travail en ville et ils partirent tous les trois. En nous quittant, nous avions tous la larme à l’oeil.

* En hommage à ma grand mère qui aimait tant les conjugaisons, un imparfait du subjonctif.



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19 ” Ora pro nobis”*













De ma prime enfance, me revient un souvenir étrange. Parfois une vieille femme en haillons parcourait le village, les cheveux dénoués comme une pleureuse antique. Elle s’agenouillait devant la porte de la maison et psalmodiait des prières incompréhensibles pour attirer les grâces divines.

Moi, elle me faisait peur. Heureusement, il suffisait de lui donner une pièce pour interrompre ses patenôtres et la voir s’éloigner.


On était tous soulagés et on se réjouissait même en pensant que c’était au tour du voisin de subir les mêmes litanies…
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20 Un cascadeur méconnu

Elodie, ma grand mère, avait une soeur nommée Elisa: toutes les deux s’aimaient tendrement. Ma grand mère nous avait quittés trop tôt quand Elisa mourut à son tour. Nous nous préparions pour aller participer à son enterrement dasn les Corbières où elle avait toujours vécu.

On avait revêtu mon grand père, qui avait un grand âge, de son costume de cérémonie qui le serrait un peu, et on l’avait chaussé d’élégantes bottines à la fine semelle de cuir. De l’avis général elles étaient plus dangereuses que des patins à roulettes. Aussi ma mère l’avait-elle assis dans la cuisine avec consigne de ne pas bouger.

A côté de lui une petite porte garnie d’une vitre dépolie haute et étroite, encadrée par des robustes baguettes, donnait sur le couloir. Soudain un fracas étourdissant ébranla la maison. Ma mère descendit en courant de la chambre et découvrit la tête de mon grand père dans le couloir, cependant que les reste du corps bloqué par les épaules était resté dans la cuisine; il sembalit prêt à passer à la guillotine….On le retira de sa tragique position. 
Il n’avait pas la moindre égratignure. On se contenta donc de brosser son costume, de lui donner un cop de peigne tout en le réconfortant. Puis on le rassit à nouveau sur sa chaise loin de la porte en renouvelant les mêmes recommandations.

Quand nous fûmes tous prêts, nous revînmes pour le prendre, il avait disparu. Nous nous précipitâmes sur la terrasse qui donnait dans la cour par une volée de marches. Ces travaux étaient récents: il n’y avait pas encore de balustrade et un trou béant s’ouvrait sous la dalle de béton.

Mon grand père gisait en contrebas: cette fois ci on voyait ses jambes et son buste mais la tête avait disparu sous la terrasse. Il paraissait décapité. On recommença les opérations de sauvetage: brossage de costume, coup de peigne et un peu de parfum pour le revigorer.

Après quoi, on le conduisit vite à la voiture, on l’installa sur la banquette arrière et on ferma la porte à clé.

“Il n’écoute jamais rien” disait ma grand mère en colère, mais en vérité, la peur s’était emparée de nous, la peur d’avoir un second mort dans la journée.
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